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Le Portail VIH/sida du Québec est un organisme dont le mandat est de créer et de diffuser de l’information sur le VIH et les autres infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) au niveau de la province du Québec au Canada. Le Portail réalise ce mandat en utilisant une gamme de médias et d’approches à la diffusion de l’information, dont des ateliers et d’autres événements éducatifs à l’intention des personnes vivant avec le VIH et de leurs fournisseurs de services. Un organisme relativement jeune ayant vu le jour en 2008, le Portail n’a jamais eu peur de se tourner vers les plateformes web et les médias sociaux pour l’aider dans la réalisation de son mandat.

Il semblait donc dans l’ordre des choses que l’organisme s’aventure éventuellement dans le développement de sa propre application mobile. Lors d’une réunion du conseil d’administration il y a quelques années, l’organisme s’interrogeait sur la pertinence d’une mise à jour de son bottin de ressources provinciales, un document exhaustif de ressources en santé sexuelle et en services pouvant être d’appui aux personnes vivant avec le VIH dans la région. C’est alors qu’une administratrice mentionna « Pourquoi on ne développerait pas une application mobile ? »  Une résistance initiale laissa vite place à une excitation face à cette idée audacieuse – le format de l’application mobile permettrait d’assurer la validité de l’information et de la mettre à jour plus facilement qu’un document en format papier ou PDF.

Le coup d’envoi donné, l’organisme s’est lancé dans cette grande aventure, en combinant les priorités de son auditoire, les livrables promis aux bailleurs de fonds et les ressources financières, humaines et matérielles disponibles pour développer l’application Sexposer. Initialement formulée en français pour utilisation sur les appareils Apple, Sexposer est maintenant disponible en anglais et en français, en version iOS et Android, et une version espagnole est en cours.

Au fil des mois et des années, le Portail a appris une gamme de leçons importantes sur ce que cela signifie pour un organisme communautaire de développer sa propre application mobile :

 

Afin de développer une application qui répondrait aux besoins de son auditoire, le Portail a entrepris dans ses démarches initiales une analyse des pages les plus fréquemment consultées sur son site web. Les préoccupations liées aux risques de transmission du VIH et des autres ITSS dans le cadre de relations orales se démarquaient – l’organisme a donc décidé de bâtir une application qui porterait sur l’évaluation et la réduction des risques dans le cadre de pratiques sexuelles variées. À l’époque, l’accès à son site web indiquait une prédominance d’utilisateurs des technologies Apple. Compte tenu du budget limité, l’organisme a donc choisi de commencer par l’élaboration d’une application mobile pour iOS.

Le Portail a toujours su attirer des employés avec un certain niveau de confort face aux technologies virtuelles et mobiles, un élément qui a certainement été bénéfique dans le cadre de l’élaboration de Sexposer. Néanmoins, n’ayant pas les capacités internes pour développer le volet technique de l’application, l’organisme a lancé un appel d’offres pour développer l’architecture de l’application mobile. Avec un budget de moins de CAD 9,000 $ (ceci n’est pas énorme pour le développement d’une application, qui en coute souvent le double ou le triple), la boîte qui a obtenu le contrat a développé un mécanisme basé sur l’utilisation d’un fichier Excel. L’équipe du Portail prendrait en charge l’élaboration du contenu, tandis que la boîte développerait une application pouvant faire la lecture du fichier, avec quelques éléments additionnels, dont un quiz instructif et une carte de ressources.

L’avantage de cette approche est qu’elle permette à l’utilisateur de consulter l’application à tout moment, avec ou sans accès à un réseau sans fil.
Le budget alloué à l’application ne permettait pas de créer une application autonome qui pourrait se mettre à jour régulièrement ; ceci aurait nécessité un abonnement à un serveur, une autre dépense considérable. L’organisme a donc opté pour une application statique pouvant être téléchargée sur un téléphone ou une tablette. L’avantage de cette approche, c’est qu’elle permet à l’utilisateur de consulter l’application à tout moment, avec ou sans accès à un réseau sans fil. L’inconvénient, c’est est que l’application doit être mise à jour manuellement. Au fil des mois, puis des années, le Portail a vite réalisé que même avec cette approche plus économique du début, les coûts s’accumulaient.

En plus de faire affaire avec des technologies en constante évolution, le monde de la santé sexuelle et des services connexes est en changement presque perpétuel. L’organisme a dû faire des mises à jour de l’information contenue dans Sexposer – en corrigeant quelques coquilles et en rajoutant des données importantes, comme de nouvelles connaissances sur le risque de transmission du VIH lorsqu’une personne a une charge virale indétectable. Étant donné qu’on avait opté pour une application statique, les mises à jour devaient se faire par l’agence embauchée pour développer le côté technique de Sexposer, ceci coûtant plusieurs centaines de dollars à chaque mise à jour. L’organisme a créé un cahier de suivi, y notant au fur et à mesure les corrections et les modifications à apporter à Sexposer, et en demandant une mise à jour lorsqu’un seuil critique avait été atteint.

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Ces défis n’ont pas empêché le Portail de poursuivre ses démarches ; des versions Android et anglaises de Sexposer ont suivi la version initiale sur Apple. Ceci témoigne du succès du projet mais signifie également qu’à chaque fois qu’une mise à jour doit être faite, elle doit être faite dans les versions anglaises et françaises, sur iOS et Google Play, donc quatre mises à jour distinctes, ce qui prend du temps et coûte des sous !

L’autre limitation d’une application statique, c’est qu’il devient plus difficile de cerner comment l’outil est utilisé. Avec une application autonome, il aurait été possible de recevoir des mises à jour hebdomadaires sur le téléchargement de l’application, ainsi que son utilisation. Comme l’application statique est téléchargée sur les téléphones et les tablettes mais ne communique pas avec un serveur, il n’est pas possible de savoir si, ou comment, les personnes qui l’ont téléchargée l’utilisent. Les informations offertes par iOS et Google Console sont aussi limitées, et n’indiquent que le pays de provenance et le type d’outil utilisé pour télécharger l’application. Mesurer l’impact d’un tel outil est donc un défi.

Même si le discours semble s’orienter de plus en plus vers une valorisation des médias sociaux et des technologies mobiles dans l’éducation à la santé, le financement tarde à le rattraper. C’est dans les valeurs du Portail d’offrir des services gratuits et accessibles à tous, et il était donc fondamental pour l’organisme de pouvoir offrir le téléchargement sans frais de Sexposer. Au début, l’organisme a pu rediriger le financement qui avait été octroyé à la mise à jour du bottin de ressources vers le développement de l’application mobile, en trouvant quelques fonds additionnels ici et là. En réalisant que de maintenir et de créer d’autres versions de l’application nécessiterait des fonds supplémentaires sur le long terme, le Portail a dû faire d’autres démarches de financement.

L’organisme a reçu un montant d’une compagnie de télécommunication, lui permettant de rajouter un volet SMS à ses services et aux options de communication offertes par Sexposer. Sext’info permet à toute personne détenant un téléphone mobile d’envoyer des questions liées à la santé sexuelle et de recevoir une réponse par SMS. Les utilisateurs de Sexposer se font offrir cette option de communication via l’application, qui télécharge le numéro de téléphone à même leur technologie mobile.

Les mises à jour sont importantes, mais elles peuvent être difficiles à « vendre » aux bailleurs de fonds.

Le plus grand défi en ce qui a trait au financement d’une application mobile comme Sexposer, c’est que les bailleurs de fonds ne contribuent pas à long terme et ne veulent pas nécessairement financer des mises à jour techniques, qui n’ont pas un grand cachet. L’organisme a donc dû intégrer les mises à jour de Sexposer dans ses campagnes de financement, en misant sur le soutien des bailleurs pour leur permettre de développer de nouveaux volets au projet tout en mettant à jour ceux qui existaient déjà. En invitant les bailleurs de fonds potentiels à financer le développement d’une version Android de l’application, et plus tard d’une version anglaise, le Portail a réussi à pérenniser le projet. Dans le cadre d’interventions virtuelles, il faut donc trouver des stratégies pour non seulement démontrer la valeur de ce genre d’intervention, mais aussi pour rendre leur financement attrayant aux bailleurs de fonds.

En terme de recommandations à tout autre organisme qui voudrait entreprendre le développement d’une application mobile, le Portail suggère de budgétiser à long terme, en prenant compte des frais d’abonnement, de mise à jour, d’administration, en plus du temps requis pour effectuer le travail. La possibilité de développer un site mobile, plutôt qu’une application, est une autre stratégie que l’organisme envisage pour des projets futurs. Quoiqu’un tel site nécessiterait que les utilisateurs aient accès à un réseau sans fil pour l’utiliser, il permettrait au Portail de faire ses propres mises à jour plus facilement et ponctuellement, tout en ayant une idée beaucoup plus précise de l’utilisation de l’outil, dont les pages qui sont les plus fréquemment consultées.

ù un autre organisme ou une compagnie déciderait d’utiliser le nom Sexposer, empêchant donc au Portail de l’utiliser. Ces démarches ont requis une autre dépense qui n’avait pas été prévue, et se sont étendues sur une période d’un an.

Dans le contrat qui avait été signé avec la boîte embauchée pour développer le côté technique de Sexposer, il avait été convenu que tous les fichiers appartiendraient au Portail, incluant les fichiers techniques qui seraient rapatriés (permettant ainsi de travailler avec des sous-traitants moins dispendieux pour les mises à jour). En début de conversation, le Portail avait également insisté pour que la boîte utilise des polices à source ouverte, afin qu’on puisse continuer à utiliser l’application sans avoir à payer de frais de droits d’auteurs. Ceci est une autre stratégie à prendre en considération pour tout organisme qui souhaiterait s’aventurer dans l’élaboration d’une application mobile – utiliser des polices, des illustrations et d’autres éléments à source ouverte permet d’économiser des frais tout en maximisant l’accès à l’application.Copy of anulingus

En tant qu’organisme communautaire, le Portail a un budget limité mais une grande communauté de collaborateurs sur qui s’appuyer pour faire avancer ses activités. C’est grâce à cet esprit de collaboration et de partenariat que l’organisme a pu ajouter à son application un volet anglophone, et plus récemment, hispanophone.

Une stagiaire bénévole bilingue avait offert ses services de traduction du français à l’anglais pour Sexposer. Le Portail, qui n’a pas la capacité d’offrir des services en anglais, s’est donc tourné vers un de ses collaborateurs, l’organisme ACCM, qui dessert la communauté de personnes anglophones touchées par le VIH et/ou l’hépatite C dans la région de Montréal. ACCM a été invité à relire la traduction anglaise et à y ajouter ses coordonnées pour toute personne anglophone qui chercherait à recevoir des informations additionnelles ou des services en anglais,

Dans le cas de la version hispanophone, le Portail a été approché par Antisida Lleida, un organisme d’Espagne qui offre des services en langue espagnole et catalane, qui cherchait à développer une application sur l’évaluation et la réduction des risques. Le Portail a généreusement offert de partager les fichiers du contenu de Sexposer, en demandant de recevoir les versions traduites en échange.

L’application Sextat a été lancée en espagnol et en catalan en version iOS et Android au printemps 2016, et quoique le Portail n’ait pas pu y accéder, vu que le téléchargement soit limité aux utilisateurs situés en Espagne, une courte vidéo a été créée pour souligner ce partenariat. Le site web de Sextat réfère également les utilisateurs au site du Portail. Quant à la traduction espagnole, le Portail espère pouvoir offrir cette version de Sexposer en 2017, moyennant qu’il trouve du financement.

Pour un petit organisme qui œuvre avec un budget limité, le Portail a su mettre à profit ses forces et des stratégies novatrices pour développer une application intéressante, multilingue et à étendue internationale.
 Depuis 2013, plus de 4000 applications ont téléchargées, dont 1856 sur Android  

FAITS INTÉRESSANTS :

  • Outre Sexposer, le Portail mise grandement sur son site web et les médias sociaux pour réaliser son mandat de partage et de diffusion de l’information – il a une page Facebook, un compte Twitter et un compte Vimeo pour partager ses vidéos éducatives. Il a aboli son compte Linkedin, car celui-ci ne rejoignait pas vraiment l’auditoire visé. Les gens peuvent le rejoindre par courriel, par téléphone et par SMS, et il offre également une fonction clavardage, qu’il tâche de rendre disponible plusieurs heures à chaque semaine. Dans les dernières années, l’organisme a cessé de faire son monitorage sur papier. Il utilise maintenant SurveyMonkey pour l’entrée de données, ce qui permet de saisir l’information et de l’analyser à partir de n’importe quel endroit –moyennant qu’on ait accès à l’internet et une technologie mobile, bien sûr !
  • Les médias sociaux et les technologies mobiles sont parfois modestes. Ceci peut être contraignant lorsqu’on travaille dans le domaine de la santé sexuelle. Le Portail s’est fait censurer à plusieurs reprises en développant Sexposer – lors de la première année, l’application n’était accessible qu’aux jeunes de plus de 17 ans, alors qu’elle visait un public cible de 14 à 25 ans. L’organisme a fait un appel auprès d’Apple et a pu éventuellement faire diminuer l’âge d’accès à 14 ans. À quelques jours du lancement, l’image de fond a été censurée parce qu’on pouvait y voir des poils pubiens. On a éventuellement modifié l’image mais il a fallu lancer l’application sans image de fond. Il arrive également que les publicités développées pour Facebook sont censurées.
  • Le Portail prend la sécurité et le bien-être de ses utilisateurs à cœur. Les utilisateurs de Sexposer se font rappeler que l’utilisation de l’application ne devrait pas remplacer une consultation avec un professionnel. L’organisme prend garde de ne pas récolter d’information pouvant être identifiante ou compromettante pour ses utilisateurs dans ses activités, et il fait également la différence entre un service confidentiel (où l’information n’est pas partagée publiquement) et un service anonyme (où l’identité de la personne est inconnue). On vient d’ailleurs de changer de plateforme pour le service Sext’info, afin de pouvoir garantir un anonymat complet aux utilisateurs.

À NOTER :

Le 13 septembre 2016, Apple lançait son nouveau système d’exploitation iOS10. Une bonne nouvelle pour les mordus de technologie en quête de rapidité et de dynamisme, ces développements sans fin le sont un peu moins pour un organisme communautaire comme le Portail, pour qui ce changement de système représente une autre mise à jour et des coûts sous-jacents importants. Avec plusieurs versions de Sexposer à son acquis, le Portail a décidé de ne pas investir dans une mise à jour pour iOS10, solution qui ne serait que temporaire (l’exercice serait à refaire lors du lancement du prochain système d’exploitation d’Apple). Pour les organismes à but non lucratif, l’obsolescence programmée représente un obstacle important. Voici le message qu’ils ont partagé à ce sujet:

L’application Sexposer éprouve des problèmes de compatibilité avec iOS 10 pour Apple. Nous sommes sincèrement désolés de cet inconvénient et travaillons à trouver une solution viable à ce problème. Sauf exception, l’application demeure disponible et fonctionnelle sur les appareils Android. Merci pour votre compréhension. Pour toute discussion sur la prise de risque ou pour trouver une ressource, vous pouvez nous rejoindre par texto au service Sext’Info :  514-400-9301.