ICAD-Team

Après la crise financière de 2007-2009, le secteur des ONG au Canada et dans le monde a rencontré d’importantes contraintes financières; une ère d’austérité s’est ouverte et ses répercussions se ressentent encore aujourd’hui. Dans le contexte de nouvelles orientations et contraintes financières pour les secteurs des services sociaux et de santé aux quatre coins du monde, y compris un intérêt décroissant à soutenir du travail de coalition, la Coalition interagence sida et développement (CISD) était aux prises avec un important dilemme : elle avait tout autant de travail à accomplir, voire plus, mais avec moins de ressources.

Le tournant du millénaire semblait ouvrir un virage vers des approches de plus en plus souples pour la gestion des ressources humaines et matérielles; et des changements dans notre compréhension des facteurs du rendement au travail. Les espaces de bureau ouverts, le travail à distance et les leçons de yoga le midi semblaient remplacer lentement le modèle du 9 à 5 en compartiment qui caractérisait le milieu de travail nord-américain depuis des décennies.

Les espaces de bureau ouverts, le travail à distance et les leçons de yoga le midi semblaient remplacer lentement le modèle du 9 à 5 en compartiment qui caractérisait le milieu de travail nord-américain depuis des décennies.

Étant une coalition d’organismes communautaires et d’autres groupes des domaines du développement et du VIH au Canada et dans le monde, la CISD avait déjà utilisé un vaste éventail de moyens techniques pour gérer des processus de travail couvrant de grandes distances géographiques et zones horaires. De plus, étant donné que l’organisme œuvre à renforcer les services pour les personnes vivant avec le VIH et à risque pour celui-ci, mais sans offrir de services directs aux premières lignes, il n’a pas nécessairement besoin d’un lieu physique pour ses opérations.

L’idée de passer à un bureau virtuel se présentait par conséquent comme une étape relativement organique du parcours de l’organisme. En plus des économies de coût, l’abandon d’un bureau matériel pourrait également être une source de vitalité et de renouveau pour l’organisme et son équipe.

Après un processus de transition soigneusement planifié et exécuté, la CISD a ouvert son bureau virtuel le 1er octobre 2014.

Plus de deux ans après, l’organisme détient à présent des leçons clés sur ce qu’implique un virage vers un modèle de bureau virtuel et ce qu’il faut pour que ce type de bureau fonctionne. Les voici :

La décision de la CISD de passer à un modèle virtuel n’était pas impulsive, mais plutôt un processus soigneusement conçu et mené, qui a misé sur la participation du personnel de l’organisme ainsi que de son conseil d’administration et de divers collaborateurs au Canada et à l’international. Comme première étape, la directrice générale de la CISD a été mandatée d’examiner quatre modèles économiquement avantageux :

  • déménagement dans un bureau plus petit et moins coûteux;
  • partage d’un nouvel espace de bureau avec un autre organisme communautaire;
  • modèle hybride combinant une dimension virtuelle à la possibilité que la personne ait accès à un espace de bureau partagé avec un organisme partenaire;
  • et pour finir une approche complètement virtuelle où chaque membre du personnel travaillerait de chez elle.

Chacun des modèles a été soigneusement étudié, et accompagné d’une planification de scénario impliquant une analyse de risque et des prévisions budgétaires.

On a conclu que le modèle virtuel était le plus prometteur compte tenu des besoins de la CISD et de ses ressources. Même une fois la décision prise, cependant, l’organisme est demeuré méticuleux et précis dans sa planification. Pour faire en sorte que les employées soient à l’aise avec l’approche virtuelle, et pour commencer à en résoudre certains détails techniques, on a planifié une phase pilote avant la mise en œuvre. Le pilote s’est effectué sur trois semaines au cours de l’été canadien; en rétrospective, ce n’était peut-être pas la meilleure période pour un tel travail puisque ces mois sont une période de vacances, au Canada, et que cet été précis s’est avéré être une période très occupée pour la CISD, qui organisait de nombreuses réunions et des événements pour l’automne.

Pour d’autres organismes qui envisageraient un virage vers un modèle hybride ou virtuel, la CISD souligne l’importance d’allouer suffisamment de temps à une phase pilote. Ce processus peut livrer des indications très importantes et, pour le personnel, des occasions de familiarisation avec le nouveau modèle de travail. Vu la disponibilité de logiciels à source ouverte, il est possible d’organiser une phase pilote sans devoir investir beaucoup de ressources dans une nouvelle infrastructure. La CISD recommande au moins trois à six semaines pour un pilote; ceci offre assez de temps pour commencer à mesurer la fluctuation du travail virtuel ainsi que les points de stress que peut apporter ce type d’environnement.

Puisque la CISD est un petit organisme (elle comptait trois employées à temps plein au moment du pilote, et une employée à temps partiel travaillant déjà à distance), le pilote a été fait comme suit : une semaine à la fois, une employée a fait son travail de l’extérieur du bureau, à tour de rôle. Pour un plus grand organisme, il peut être valable de considérer des situations différentes. Par exemple, on pourrait faire l’essai d’une période où tous les gestionnaires et/ou tous les employés de soutien travaillent virtuellement en simultané, offrant un aperçu plus équilibré de certains des défis pouvant se manifester dans un modèle virtuel (et pour commencer à trouver des stratégies pour les atténuer).

La phase pilote a permis d’apprivoiser de possibles défis et des éléments à considérer; la CISD était alors prête à raffiner son processus de lancement, qui incluait le développement d’un plan de travail échelonné avec un horaire très détaillé. Tous ces éléments ont été communiqués très clairement aux employés et membres du conseil d’administration, donc tout le monde savait exactement à quoi s’attendre à quel moment.

Pour assurer une transition sans soubresauts, avec les partenaires et collaborateurs, la CISD a également conçu une stratégie communicationnelle précise. Des intervenants clés à considérer étaient les membres du consortium et les bailleurs de fonds, à qui on a présenté une analyse détaillée des économies d’un tel virage virtuel et une démonstration de la manière dont on pourrait réinvestir ces fonds dans des programmes. Au bout du compte, tout le monde a appuyé le virage et s’est intéressé à certaines des leçons tirées dans le processus.

La CISD n’avait pas de fonds pour embaucher un consultant de transition pour aider la planification de son virage vers un modèle virtuel, mais il était compris qu’afin d’assurer une transition en douceur il fallait cartographier tous les détails minutieusement, y compris toutes les exigences techniques. La CISD travaille depuis de nombreuses années avec les mêmes consultants en TI, qui se sont avérés de précieux collaborateurs pour l’aider à cerner les exigences techniques de la démarche. Malgré des années de collaboration, toutefois, la CISD a dû s’assurer que tout le monde comprenait ce dont on discutait, car « même s’ils sont des gens brillants comme nous, nous ne parlons pas toujours le même langage ».

La CISD a entretenu une communication extrêmement étroite avec ses consultants en TI pendant tout le processus, pour s’assurer que les problèmes possibles avaient été prévus et que tout le monde était à l’aise avec la technologie. Même avec les plans les plus précis, cependant, on s’attend toujours à ce que des choses ne fonctionnent pas bien lorsque des technologies sont en cause, et à certains moments de la transition de la CISD c’est arrivé. Fait important, le fait de délaisser un espace commercial de bureau pour travailler chacune dans son logis a soulevé un certain nombre de défis très terre-à-terre, comme un nombre insuffisant de prises électriques ou une connectivité limitée pour un serveur situé dans un condominium à structure en béton.

La phase pilote s’est donc avérée cruciale : elle a offert l’occasion de découvrir certains de ces problèmes potentiels et de développer des plans de rechange. Dans le cas de la CISD, un déménagement des dossiers vers un serveur virtuel (cloud) était une stratégie très utile, en assurant une connectivité constante, sans égard à ce qui se passait dans nos logis.

Au bout du compte, il y aura possiblement des pépins en cours de route, mais la clé est de veiller à ce qu’ils ne se manifestent pas hors de l’organisme, et que le travail et les processus de communication ne soient pas interrompus. Faire un essai du processus, développer des plans de rechange et demeurer en contact et en étroite communication avec le soutien en TI sont des éléments essentiels pour assurer une transition à un bureau virtuel.

Virtual-ICAD-1Cette approche de « surplanification » et de communication constante en est une que l’on a intérêt à prolonger au delà de la phase pilote et du lancement, dans toutes les sphères du travail virtuel. Une autre leçon apprise est que, dans le bureau virtuel, il est important d’avoir en tout temps un plan clair des objectifs, des personnes responsables de chaque tâche, et des échéanciers. Dans un contexte où vous comptez abondamment sur des documents écrits, il est également important que rien ne soit tenu pour acquis – par exemple, il faut que chaque personne demeure en connaissance de cause, grâce à des copies conformes à tous les membres et collaborateurs en cause, en tout temps. 

La CISD s’est également tournée vers divers outils et technologies pour faciliter le processus. Ses employées sont devenues de ferventes utilisatrices de Google Docs, un outil de collaboration qui permet que tout le monde puisse accéder à la même version d’un document à tout moment et de la modifier. Une liste de produits à livrer, partagée sur Google Drive, permet que tous les membres du personnel soient à jour et sachent qui est responsable de quoi et de ce qui a été ou est accompli; une configuration d’onglet individuel pour chaque réunion d’équipe permet d’enregistrer les progrès et les jalons atteints.

L’équipe a découvert plusieurs fonctions de Skype, au delà des appels individuels et conversations avec vidéo à deux – notamment la possibilité de partage d’écran et de réunions de groupe. On est toujours à l’affût d’outils à accès libre pour effectuer notre travail; certains éléments découverts sont conservés, et d’autres ne le sont pas. Une des employées s’intéresse particulièrement à tout ce qui est technologique, alors elle s’occupe généralement de chercher des outils et de former ses collègues afin que tout le monde soit à l’aise avec les technologies. Il y a une manne d’outils, donc il est plus facile de développer des plans de rechange; p. ex., si Skype fonctionne mal un certain jour, il y a d’autres plateformes pour arriver à la même chose.

Dans un contexte où vous comptez abondamment sur des documents écrits, il est également important que rien ne soit tenu pour acquis…

Plus récemment, la CISD a ajouté Slack à son arsenal; elle utilise cet outil collaboratif afin de faciliter certains de ses projets. Par exemple, la majeure partie du travail effectué pour la présente ressource de Leçons apprises a été faite à l’aide de Slack. La CISD avait eu déjà une expérience très positive avec cet outil dans le cadre d’une collaboration avec un organisme partenaire pour la planification du pavillon du Canada lors du congrès SIDA 2016 à Durban. Slack permet de centraliser toutes les communications d’équipes en un même endroit (et hors-courriel), y compris le partage d’outils et ressources, la communication directe à deux et en groupe même grand, de même qu’un outil de recherche qui permet aux utilisateurs de retrouver tout mot-clé ou idée. Tout est daté et répertorié chronologiquement, ce qui peut aussi être une caractéristique très intéressante pour le suivi de la progression d’un projet et des jalons.

L’ouverture aux outils qui existent aide non seulement la CISD à s’acquitter de ses obligations en termes de produits et à s’assurer que le personnel est en mesure de réaliser les processus de travail nécessaires pour cela, mais elle est également fondamentale pour maintenir l’unité dans l’équipe.

Le changement est important, mais il peut être également apeurant et déstabilisant. Dans le cadre de sa transition à un modèle de bureau virtuel, la CISD a investi un temps considérable dans le travail avec le personnel afin de prévoir et d’atténuer certaines des ramifications plus humaines et émotionnelles du travail à la maison (y compris les éléments de distraction, l’isolement, le sentiment d’être en marge). La planification a inclus du temps pour l’équipe tout ensemble et pour les employées individuellement, consacré à des discussions franches au sujet de ce dont elles avaient peur, dans le changement, et de ce qu’elles croyaient pouvoir être des problèmes, de même que de stratégies pour y répondre, au besoin.

Une boucle de rétroaction a également été intégrée dans le processus à proprement parler, prévoyant un examen annuel du modèle virtuel. Tout au long de l’année, les employées sont incitées à faire part des difficultés et réussites qu’elles rencontrent, en lien avec le modèle virtuel, lors des réunions hebdomadaires du personnel et dans les rencontres individuelles avec la directrice générale. Bien que l’équipe soit dispersée sur le plan géographique, elle se réunit en personne au moins une fois l’an et elle tente de mettre à profit d’autres occasions, comme des événements et des congrès, pour se rencontrer.

Elles communiquent, s’amusent et tentent d’utiliser les outils au meilleur de leur potentiel.
Et, bien qu’elles travaillent à présent en mode virtuel, les employées de la CISD se retrouvent souvent en « face à face ». Elles utilisent abondamment des outils vidéo, puisque l’aspect visuel ajoute quelque chose qui manque aux téléphones et aux échanges par courriel. Quelques fois, elles travaillent côte-à-côte par Skype. Elles font des expériences avec des emojis, elles s’envoient des photographies drôles et elles ont même pris des « bières virtuelles » dans le cyberespace. Elles communiquent, s’amusent et tentent d’utiliser les outils au meilleur de leur potentiel.

Le travail virtuel n’est pas fait pour tout le monde; et il peut parfois rendre plus difficile l’art délicat d’équilibrer le travail et la vie personnelle, ou encore le rendre plus facile. Quoi qu’il en soit, la CISD a fait la transition en douceur et de manière créative, vers un modèle de travail virtuel. Elle a pu réinvestir dans des programmes (comme la création de cette ressource web) l’argent économisé, tout en explorant l’importante question de savoir ce qui fait qu’une personne est heureuse et satisfaite au boulot.

Un indice du succès de la transition de la CISD à un modèle de bureau virtuel est que la majorité des gens qui travaillent avec elle de l’extérieur ne se rendent pas compte que l’équipe travaille en bureau virtuel.

CONSEILS PRATIQUES DE L’ÉQUIPE DE LA CISD :

  • Parfois, un changement d’environnement peut mélanger les choses. Essayez de trouver un lieu comme un café ou une bibliothèque, où aller travailler lorsque vous avez besoin de « contact humain ». Dans le choix de ce lieu, n’oubliez pas de considérer des choses comme le nombre de prises de courant, le niveau de bruit et la fiabilité du wifi. De plus, essayez d’avoir un endroit de rechange, pour les jours où il ne reste plus de table libre dans votre lieu de premier choix.
  • Étant donné que nos collègues ne peuvent nous voir, on peut avoir l’impression qu’il faut toujours démontrer qu’on est « en ligne ». Si vous avez besoin de couper le contact afin de vous concentrer sur une chose de travail, c’est acceptable; et c’est parfois nécessaire.
  • Au moment de dépaqueter vos choses dans votre nouveau lieu de travail, à la maison, nous vous recommandons de tout dépaqueter et de vous installer avant de vous réatteler au travail. Sinon, toutes ces boîtes non vidées, auxquelles vous comptez vous attaquer, risquent de demeurer non vidées.
  • Assurez-vous d’avoir des processus clairs pour vos procédures financières et administratives. Ils changeront sûrement lorsque vous aurez fait le saut vers le modèle virtuel.
  • Réservez du temps et des ressources pour un contact face à face tout au long de l’année. Les bières virtuelles sont un bon moyen d’échanger avec votre équipe, mais le fait d’être dans un même lieu physique vaut son pesant d’or.
Quelques mots sur l’équilibre travail/vie, dans le contexte du travail à domicile :
  • Il est important de garder une séparation entre votre espace de travail et votre espace de vie. C’est acceptable de travailler sur votre table à dîner à l’occasion, mais si cette table devient votre deuxième pupitre (ou votre seul pupitre…) vous risquez de trouver que vous n’arrivez pas à « quitter le travail ».
  • Si vous le pouvez, essayez d’avoir un espace de travail avec une porte. Cela vous aidera à « quitter le travail » lorsque vous avez terminé votre journée.
  • Travailler à la maison permet de continuer de travailler lorsqu’on est malade. Si vous êtes une personne qui vit avec une maladie chronique, comme le VIH, travailler dans un monde virtuel peut être très utile. Mais cela rend plus difficile, en effet, de prendre un congé de maladie lorsqu’on en a besoin.